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Prêts en monnaie étrangère / clause d’indexation / clause abusive / devoir de mise en garde

Cass. Civ I : 29.3.17
16-13050 et n° 15-27231

Dans deux arrêts du même jour, pour des affaires similaires et antérieures à la loi de séparation et de régulation bancaire du 26 juillet 2013, la Cour de cassation se prononce sur la validité de la clause d’indexation d’un prêt immobilier en monnaie étrangère et sur le devoir de mise en garde du prêteur dans ces situations.
En l’espèce, les prêts immobiliers ont été contractés en 2008 et 2009, libellés en francs suisses (monnaie de compte) et remboursés en euros (monnaie de paiement). Devant la dépréciation de l’euro face au franc suisse, le montant restant dû a considérablement augmenté.
Judiciairement, les emprunteurs ont agi en nullité de la clause dénommée dans le contrat de prêt « taux swap francs suisses cinq ans » prévoyant la révision du taux d’intérêt en fonction du taux de change. En outre, ils ont également invoqué le manquement de l’établissement prêteur à l’obligation d’information et à celle de mise en garde envers l’emprunteur.

Concernant la clause de révision du taux d’intérêt indexé sur les variations du taux de change, la Cour de cassation rejette l’argument de l’illicéité de la clause fondé sur les dispositions du Code monétaire et financier. Ces dispositions interdisent toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des partie (Code monétaire et financier : L.112-2). La Cour de cassation suit la cour d’appel qui a jugé que la relation directe du taux de change dont dépendait la révision du taux d’intérêt avec la qualité de banquier était suffisamment caractérisée. Le fait que l’opération fut purement interne, puisque le prêt était accordé à un emprunteur français pour le financement d’une opération en France par une banque française, est indifférent quant à la solution. Pour mémoire, la

Cour de cassation s’est déjà prononcée en ce sens.
En revanche, la Cour de cassation considère que les juges du fond, dans les deux affaires, ont eu tort de ne pas avoir examiné d’office la régularité de la clause eu égard aux dispositions du Code de la consommation, relatives aux clauses abusives (Code de la consommation : L.132-1 devenu L.212-1). En effet, la jurisprudence européenne enjoint le juge national à examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (CJCE : 4.6.09). En jugeant la clause régulière, les juges ont donc violé l’article L.132-1 du Code de la consommation.
Enfin, concernant le manquement au devoir de mise en garde invoqué par les emprunteurs, trois conditions doivent être réunies pour engager la responsabilité du professionnel : un emprunteur non averti, de bonne foi et un crédit excessif.

Sur ce point, la Cour de cassation suit le juge du fond et refuse dans une des deux affaires (pourvoi n° 16-13.050) cette action en responsabilité dès lors que les emprunteurs étaient avertis (agent de change et comptable). Dans l’autre affaire (pourvoi n° 15-27.231), la Cour de cassation censure l’analyse de la cour d’appel : le juge du fond aurait dû rechercher, comme cela lui était demandé, s’il n’existait pas un risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt, au regard des capacités financières de l’emprunteur justifiant sa mise en garde par la banque.

Les deux affaires sont renvoyées devant la cour d’appel de Paris.
Sur le sujet des prêts libellés en devise étrangère, des évolutions sont à noter :

  • ­depuis le 1er octobre 2014 (en application de la loi n° 2016-672 de séparation et de régulation bancaire du 26 juillet 2013 : art. 54), les emprunteurs, personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels, ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise étrangère à l'Union européenne remboursables en monnaie nationale ou dans la devise concernée que s'ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n'est pas supporté par l'emprunteur ;
  • ­depuis le 1er octobre 2016 (date d’émission de l’offre de prêt), l’obligation d’information du prêteur pendant la vie du prêt a été renforcée et le dispositif concerne également les prêts libellés dans une devise étrangère et remboursable dans cette même devise (cf. analyse juridique relative au crédit immobilier : renforcement de la protection des emprunteurs).

Sur l’obligation pour le juge du fond de relever d’office le caractère abusif d’une clause, on rappellera qu’elle est inscrite dans le Code de la consommation depuis le 1er juillet 2016 (Code de la consommation : R.632-1).

Enfin, sur le devoir de mise de garde du professionnel, il est explicitement consacré et devient une obligation légale pour le prêteur ou l’intermédiaire de crédit. Le professionnel doit mettre en garde l’emprunteur d’éventuels risques spécifiques induits par un contrat de prêt, du fait de sa situation financière (Code de la consommation : L.313.12).

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