Le dispositif de prévention des expulsions : bilan des ADIL
Synthèse:
Anil, Habitat Actualité, octobre 2001
(Avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat)
La loi relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 a défini un dispositif visant à prévenir l'expulsion en cas d'impayé de loyer que l'on peut résumer en trois points :
- modification des modalités de mise en jeu de la clause de résiliation de plein droit des baux pour défaut de paiement du loyer et des charges. Les pouvoirs du juge sont élargis : celui-ci peut désormais prendre l'initiative d'accorder au locataire des délais de paiement et suspendre, à tout moment, les effets de la clause résolutoire ;
- coordination des procédures administratives et judiciaires. Le Préfet est informé des assignations en résiliation de bail ; il dispose d'un délai de deux mois pour fournir au juge des éléments sur la situation sociale et financière du locataire. Ce délai doit être mis à profit pour réunir les aides susceptibles de solvabiliser le locataire et pour mettre au point un plan d'apurement ou, si cela s'avère impossible, pour rechercher un logement adapté :
- une mobilisation accrue des dispositifs d'aide :
- préalablement à une assignation en résiliation de bail pour impayés de loyers, les bailleurs sociaux doivent saisir la SDAPL ou la CAF. Un délai de trois mois est institué entre la saisine de l'organisme et l'assignation ;
- la situation des ménages menacés d'une résiliation de bail doit être traitée en priorité par le FSL ;
- enfin, afin de mieux organiser les relogements, le Préfet peut être informé des décisions de justice relatives à l'expulsion.
Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre les exclusions et de son volet " prévention des expulsions ", le moment est venu d'en dresser un premier bilan.
Le Ministère du Logement a engagé une évaluation qui repose sur l'analyse de cinq sites correspondant au ressort des tribunaux d'Instance d'Arras, Bobigny, Chartres, Marseille et Lyon. Ce travail est piloté par l'UNIOPSS avec l'appui technique de l'ANIL.
Parallèlement, l'ANIL vient de conduire une enquête, fondée sur les observations des ADIL , sur les conditions pratiques de la mise en œuvre de la nouvelle procédure, dont les principales conclusions sont présentées ici.
Le point de vue des ADIL est celui de juristes qui, sans être acteurs de la procédure, en expliquent fréquemment le fonctionnement aux particuliers, que ceux-ci soient propriétaires victimes des impayés ou locataires confrontés à des difficultés de paiement ; de plus, dans plusieurs départements, les ADIL participent, en qualité d'experts, aux instances locales (plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées, commission locale habitat, fonds de solidarité logement, section départementale d'aide publique au logement) impliquées dans la prévention des expulsions et l'aide aux locataires en difficulté. Certaines le sont même directement, puisqu'elle assument, à la demande des pouvoirs publics locaux, des fonctions de coordination, d'expertise ou de médiation locative qui vont au-delà de leur mission traditionnelle de conseil.
Si les bailleurs sociaux ont mis en œuvre de nouvelles modalités de traitement préventif des impayés, tel n'est pas le cas dans le parc privé : les bailleurs personnes physiques, comme leurs locataires, ignorent tout des dispositifs d'aide et de prévention, qu'ils ne découvrent que dans la phase administrative préalable à l'audience.
Le volume des aides financières des FSL est en constante augmentation : il a atteint 962 millions de francs en 1999, soit une progression moyenne de 14 % par an depuis 1992, et ce malgré des conditions d'accès restrictives qui découlent de règlements intérieurs adoptés au plan local : ainsi, l'existence de plafonds de ressources ou l'exigence de reprise préalable des paiements interdisent le traitement de certains dossiers, ce qui peut conduire le juge à rendre une décision de résiliation du bail.
Les SDAPL font face à une croissance considérable du nombre de déclarations d'impayés de loyers émanant des bailleurs sociaux, mais leurs moyens n'ont pas suivi cette progression ; malgré leurs efforts, les SDAPL des départements les plus urbains ont des difficultés à examiner tous les dossiers avant l'assignation. En outre, leur intervention serait plus efficace si leur rôle était élargi au contrôle de la faisabilité des plans d'apurement, car ceux-ci s'avèrent trop souvent irréalistes.
C'est au moment du traitement par la SDAPL que l'intervention pourrait être la plus efficace : le maintien de l'aide pour une période de six mois devrait être mis à profit pour conduire les démarches jusque-là négligées (rencontre avec l'assistante sociale, FSL, plan d'apurement, analyse juridique du dossier…) : ceci suffirait, dans certains cas, à éviter le déclenchement de la procédure contentieuse. A cet égard, les ADIL soulignent l'efficacité des plans d'apurement négociés avec des locataires, à la condition que ceux-ci aient la volonté de coopérer et de trouver des réponses à leurs difficultés.
La présence aux réunions de la SDAPL, du travailleur social (ou de l'association) chargé de réaliser le document d'information à l'intention du juge permettrait de proposer, dès ce stade, une assistance au ménage.
Dans tous les départements, on s'efforce d'agir pendant la phase préalable à l'audience pour réunir les éléments susceptibles d'éclairer le juge sur la situation du ménage ; cependant, une trop grande disparité existe tant dans les procédures d'examen des dossiers au titre de l'enquête sociale que pour la recherche d'éventuelles solutions, ce qui conduit à une inégalité de traitement.
Enfin, lorsqu'une procédure judiciaire est engagée, on peut regretter que les locataires soient toujours aussi fréquemment absents à l'audience. Dans ce domaine, on ne constate d'amélioration que dans les départements où sont mises en place des procédures de médiation locative, qui sont l'occasion de tenter de persuader le locataire de la nécessité de se présenter au juge. Or les ADIL observent toutes que la présence à l'audience du locataire reste déterminante : la transmission par les services de la Préfecture au juge d'une note d'information, aussi complète soit-elle, ne la remplace pas. Il est d'ailleurs très difficile d'évaluer l'incidence des informations communiquées au juge sur sa décision, car aucune analyse n'est faite du contenu des jugements.
En tout état de cause, ces nouvelles procédures ne sont pas adaptées au traitement des situations qui résultent de la précarité, qu'elle soit familiale, professionnelle ou financière : elles n'ont de sens que pour des ménages disposant d'un minimum de ressources stables, pour lesquels un plan d'apurement réaliste peut être envisagé.
Il est encore trop tôt pour juger de l'efficacité globale du dispositif de prévention des expulsions, car celui-ci se met en place de manière progressive. Les orientations nationales laissent, en effet, une grande place aux initiatives et chaque bilan local est l'occasion d'aménagements et d'ajustements. L'efficacité dépend du volontarisme des pouvoirs publics locaux, des moyens qu'ils y consacrent, mais aussi de la présence d'acteurs disponibles et fortement motivés. Or la motivation, comme le choix des acteurs ou leur implication, varient très fortement d'un département à l'autre ; la coordination semble elle-même reposer sur la volonté des personnes et les échanges oraux, plus que sur des procédures précises. C'est ce qui explique la très grande disparité que l'on constate dans la mise en œuvre de cette loi sur le terrain.
Un rapprochement des expériences doit donc être engagé si l'on veut assurer une plus grande égalité de traitement entre les ménages : c'est l'un des objectifs de cette étude.
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